L’entrée en institution : un accompagnement vers la fin ?
L’entrée en Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) est un
passage délicat, marqué par deux deuils importants : celui du domicile et celui de la proximité avec la
mort imminente.
Le deuil du domicile : Une perte identitaire profonde
La transition du domicile vers l’EHPAD est un processus complexe où le sujet âgé abandonne bien
plus qu’un lieu physique. Hecquet (2011) souligne que cette étape est caractérisée par une perte
d’identité, une rupture avec son histoire de vie, ses repères et ses habitudes. La maison, bien plus
qu’un simple habitat, devient le réceptacle de souvenirs, le témoin de l’intimité à plusieurs, un lieu qui
nous identifie profondément (Eiguer, 2006).
Le domicile, véritable « habitat intérieur », représente une partie de soi-même. La transition vers
l’hébergement en EHPAD s’accompagne d’une perte de cet espace symbolique, mettant en jeu l’identité du résident. La distinction entre habitat et hébergement souligne une coupure à la fois physique et symbolique, où l’EHPAD devient un lieu d’hébergement, parfois perçu comme une intrusion dans l’intimité du résident.
Conti (2019) aborde l’enjeu de l’enfermement en EHPAD, soulignant que quitter son domicile pour
entrer en institution équivaut à la perte d’un « chez soi ». La maison, selon Eiguer (2006), devient le
lieu où l’on devient quelqu’un. La perte de ce chez-soi représente alors une perte d’identité, un
déracinement psychique.
La maison, lieu chargé d’histoire et de mémoire, constitue un ancrage essentiel à l’identité de la
personne âgée. Le passage entre habitat et hébergement, où ce dernier implique une coupure
symbolique avec l’extérieur, accentue le sentiment d’inquiétante étrangeté. La question des repères et la possibilité de fonder un nouveau chez-soi en EHPAD deviennent des enjeux cruciaux.
Un « chez-soi » en EHPAD : Entre impossibilité et compromis
Ferreira et Zawieja (2012) s’interrogent sur la possibilité de recréer un « chez-soi » en EHPAD. La
maison, définie comme un lieu d’ancrage et un port d’attache, se transforme en un espace délimité par les murs de la chambre en institution. Le renoncement à l’investissement d’un nouveau lieu de vie est un défi, notamment face à la dépendance et à la confrontation à une intimité limitée.
L’institution, tout en représentant la loi et les règles, doit trouver un compromis entre la singularité de
la personne accueillie et le cadre institutionnel. La création d’un chez-soi va au-delà de la chambre
individuelle, englobant également les espaces communs. Le respect de l’intimité émerge comme un
élément fondamental pour favoriser le sentiment de chez-soi en EHPAD.
Le deuil de la mort qui approche : Une présence incontournable
Le grand âge s’accompagne de multiples deuils, et la mort, sous différentes formes, devient une réalité omniprésente en EHPAD. La finitude personnelle, les décès des autres résidents, et parfois ceux des membres de la famille créent une atmosphère anxiogène. L’EHPAD, tout en reprenant les codes sociaux extérieurs, cherche à resocialiser la mort, à respecter l’individualité des résidents.
La mort devient un sujet délicat à aborder, mais Ferreira et Zawieja (2012) soulignent l’importance
d’offrir aux résidents la possibilité de s’exprimer sur la mort en général et sur la leur en particulier.
Cette démarche, bien que potentiellement angoissante, permet de reconnaître le résident en tant que sujet et de répondre à ses besoins spécifiques.
Le Gall (2015) explore la complexité de la mort en EHPAD. La mort, qu’elle survienne à domicile ou
en institution, pose des défis particuliers. La relation entre la famille, les professionnels et le résident
est influencée par la présence institutionnelle. La mort devient alors un échec perçu, surtout lorsque les conditions d’accompagnement sont entravées par des contraintes budgétaires, mettant en danger le bien-être des résidents, du personnel, et de la famille.
L’entrée en institution marque, d’une certaine manière, le début de la confrontation à la perte
d’autonomie, et le choix contraint d’une fin de vie en établissement soulève des questions éthiques et
existentielles. La société doit débattre de la manière d’accompagner dignement les personnes âgées en fin de vie, refusant de les enfermer dans des contraintes essentiellement budgétaires.
Charazac (2023) met en lumière le dilemme entre le désir de refoulement de la mort et la nécessité de la reconnaître en EHPAD. Les établissements, souvent désignés comme des « mouroirs », doivent
faire face à la présence inéluctable de la mort tout en préservant une vie collective orientée vers le
soin. Les soignants, confrontés à deux niveaux distincts de représentations de la mort, doivent jongler entre la réalité et le fantasme.
La mort, vécue comme une relation infantile entre résidents et soignants, nécessite une approche
particulière. La présence de la mort en EHPAD demande une réflexion collective pour humaniser cette réalité incontournable. Rassembler les résidents au sein d’un établissement ne suffit pas ; il faut
envisager la mort dans une perspective plus large, intégrant les différents niveaux de rapport à la mort en EHPAD.
En conclusion
Les EHPAD, lieux de vie et de mort, sont confrontés à des défis complexes. La perte
du domicile et la proximité de la mort nécessitent une approche humaine et individualisée. L’utilisation de la réalité virtuelle émerge comme une piste innovante pour atténuer ces transitions difficiles, en recréant des liens avec le domicile et en facilitant les discussions sur la mort. La société doit continuer à repenser la manière dont elle accompagne ses aînés en EHPAD, en reconnaissant la richesse de leur passé et en honorant leur humanité jusqu’à la fin de leur vie.
Sources
Charazac, P. (2023). La mort dans la vie en Ehpad. NPG Neurologie – Psychiatrie – Gériatrie, S1627483023000958. https://doi.org/10.1016/j.npg.2023.05.007
Conti, N. (2019). La question de l’enfermement en EHPAD: Empan, 114(2), 63‑68. https://doi.org/10.3917/empa.114.0063
Eiguer, A. (2006). L’inconscient de la maison et la famille: Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 37(2), 23‑33. https://doi.org/10.3917/ctf.037.0023
Ferreira, É., et Zawieja, P. (2012). Un « chez-soi » en ehpad ?: Cliniques, 4(2), 164‑179. https://doi.org/10.3917/clini.004.0164
Hecquet, M. (2011). Les Ehpad, lieux de vie, lieux de mort: Le Journal des psychologues, 287(4), 31‑34. https://doi.org/10.3917/jdp.287.0031
Le Gall, J. (2015). Mourir en ehpad: Empan, 97(1), 104‑110. https://doi.org/10.3917/empa.097.0104